J’habite une ville de la banlieue parisienne, assez aisée, de moins en moins belle mais pas encore trop moche, célèbre pour ses petits pois, son attentat et ses deux hôpitaux. Le militaire où est mort Yasser Arafat et le public où est née Amandine premier « bébé éprouvette ».
C’est étrange la banlieue, on croit la connaître par cœur et finalement on utilise un ou deux axes, selon les sens interdits, pour aller et revenir du travail, peut être un troisième pour aller faire les courses le samedi et, allez, un quatrième pour joindre un grand axe et partir. Sorti de là, c’est « arva vacua », j’allais vite m’en rendre compte.
C’est là que j’ai été confiné 55 jours.
Une fois les premiers jours de stupeur passés, les quelques saisons de célèbres séries regardées, l’ixième diffusion de « La grande vadrouille » avalée, il allait falloir s’occuper. Mes clients étant dans le même état que moi, j’avais du temps et il faisait beau.
En y pensant, ce n’était pas la première fois que j’étais confiné. Je l’avais été pendant un an dans une caserne, elle-même confinée dans une ville emmurée : Berlin Ouest. Pour le photographe que je suis, il y avait sans doute là matière à creuser mais quel rapport et comment vous demanderez-vous ?
Ça m’a sauté aux yeux dès la lecture des premières lignes et en particulier du 6e paragraphe de « l’attestation de déplacement dérogatoire » : il y était écrit « …dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre… » autrement dit, 1 h. 1 km. Le périmètre était connu, un peu plus de 6 km. certes plus limité que celui de Berlin Ouest, 165 km. mais avec une contrainte importante, la montre. 
Alors, une image forte de mon séjour à Berlin Ouest m’est revenue : les rues, coupées net par le « mur » de trois, quatre mètres de haut, les praticables qui permettaient de s’élever pour deviner l’autre côté, l’incertaine « Berlin, capitale de la République Démocratique d’Allemagne ». 
Et alors ce sentiment diffus d’y être sans y être, en dehors ou en dedans. Mon idée était là, j’allais aller y voir et montrer les limites de mon périmètre, de mon confinement. Il allait me falloir découvrir, décrire précisément ces limites. La photographie me permettrait ça. Mais je voulais aussi matérialiser cette limite, cette frontière, dont le franchissement sanctionné de 135 € d'amende, n'avait elle, rien d'imaginaire. Je voulais montrer ce sentiment, je voulais qu’on voit cet invisible, dans une sorte de « réalité augmentée ».
C’est la raison de ces cinquante-trois images. 
Alors, on traversera divers paysages, une forêt, des rues principales, des zones pavillonnaires plus ou moins chics, des immeubles de bureau ultra modernes et autres zones d’activités desservies par le tram, des immeubles flambants neufs pastichant le style « Haussmannien », des chantiers et aussi des petits passages qui vous transporteront à la campagne. Mais à chaque intersection, on buttera systématiquement contre cette barrière dans une confrontation aussi virtuelle qu’arbitraire. C’est mon seul point de vue, déterminé par mon adresse, le simple décalage de ce point d’origine transformera radicalement les paysages rencontrés, mais, et donc, à chacun « son mur ».
Le reste n’a plus été qu’une question d’organisation, de production. Déterminer précisément les lieux avec les outils numériques, arpenter le terrain, photographier selon les données de la carte chacune des rues coupées par le « mur ». À chaque fois dans le délai imparti par « l’ausweis ». Ensuite tester et valider les principes de post production, travailler, et enfin, après avoir vu… montrer.
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